Les différences homme-femme, vues par Le Monde

Rapport du Bureau des Contre-Falsifications, le 16 février 2003.


Objet

Article de Catherine Vincent, " Homme-femme : ce qui fait la différence ", paru dans Le Monde, 15 février 2003.

Contexte

Catherine Vincent critique deux best-sellers de psychologie populaire sur les différences entre les sexes (Allan et Barbara Pease : Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire une carte routière, Paris, First-Edition, 1999 ; Pourquoi les hommes mentent et les femmes pleurent, Paris, First-Edition, 2002). Ces ouvrages de vulgarisation comportent effectivement de nombreuses approximations. Mais dans sa critique, Catherine Vincent commet à son tour quelques erreurs.


Falsification n°1

Catherine Vincent écrit : "Plus personne ne le conteste aujourd’hui : il n’existe aucune relation entre le poids du cerveau et les aptitudes intellectuelles".

Vérité

C’est exactement l’inverse. Posée pour la première fois par G. Cuvier, l’existence d’une corrélation positive entre la taille du cerveau et l’intelligence a été établie dès la première moitié du XXe siècle. Une méta-analyse de 32 études portant sur le rapport entre taille du cerveau et QI montre des corrélations certes faibles, mais toujours positives (0, 21 sur 45.000 enfants et 0,17 sur 6.000 adultes). Dans les années 1990, l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a permis des mesures plus précises. Entre 1994 et 1997, huit études ont été réalisées sur un échantillon de plus de 400 adolescents et jeunes adultes sains. Toutes ont trouvé une corrélation positive (plus forte) entre QI et taille du cerveau (moyenne : 0,44). Cf. pour une synthèse : Rushton, J.P., Ankney C.D. 1996. Brain size and cognitive ability ; correlations with age sex, social class and race. Psychonomic Bulletin and Review, 3, pp. 21-36. Aucun manuel sérieux de psychométrie ne nie donc aujourd’hui cette réalité, même si la faiblesse de la corrélation et l’imprécision du trait mesuré ne disent pas grand chose sur le fonctionnement neurologique de la capacité cognitive générale.

Falsification n°2 :

Catherine Vincent écrit : "Pour expliquer les différences observées entre hommes et femmes, certains évoquent le rôle des hormones sexuelles […] L’influence de ces hormones sur les fonctions cognitives est toutefois loin d’être prouvée ".

Vérité

Le rôle des hormones sexuelles sur le fonctionnement du cerveau, notamment sur l’asymétrie hémisphérique, a été amplement démontré depuis plus de trente ans chez l’animal comme chez l’homme. Pour s’en tenir aux capacités cognitives humaines, dès 1976, O.D. Creutzfeldt et ses collègues ont montré les variations d’activités électriques du cerveau féminin en fonction du cycle menstruel. En 1983, H. Nyborg a montré la corrélation entre réussite aux tests spatiaux et périodes du cycle, résultats confirmés par E. Hampson et D. Kimura en 1988, puis D. Bibaxi en 1995. En 1986, H. Gordon et P. Lee ont montré la corrélation entre taux hormonal (gonadotrophines, oestrogènes) de chaque sexe et différences d’aptitude aux tests verbaux et spatiaux. Leurs résultats ont été retrouvés en 1990 par D.L. Robinson et K. Kertzman. Pour une synthèse récente à ce sujet : V.L. Bianki, E.B. Filippova, ‘Sexual Dimorphism of Interhemispheric Asymmetry in Humans’, in Sex Differences in Lateratization in the Animal Brain, 2000, Harwood Academic Publishers, pp. 1-18. Quant au rapport entre taux d’hormones sexuelles et différences de comportement (sexualité, agressivité), il a fait l’objet d’une littérature scientifique à ce point abondante qu’il est impossible de la résumer ici en quelques lignes.


Falsification n°3

Catherine Vincent écrit : " Sous notre calotte crânienne se cache une boîte noire, dont la complexité est telle qu’il est – pour le moment – impossible d’y démêler la part des gènes et celle de l’environnement, celle des hormones et celle de l’évolution. ".

Vérité

L’argument de la complexité est vain, puisque la fonction de la science est précisément de décrire, expliquer, modéliser et prédire les phénomènes complexes. Quant à l’image de la " boîte noire ", cela date de la psychologie béhavioriste des années 1950… Il existe aujourd’hui plusieurs revues scientifiques internationales spécialisées dans la description intégrative (du gène à l’environnement) des traits, capacités et comportements complexes. Citons par exemple Behavioural Neurology, Brain, Behavior and Evolution, Brain and Cognition, Brain and Mind, Functionnal Genomics, Functional Neurology, Gene Expression Patterns, Genes, Brain and Behavior, Journal of Cognitive Neuroscience, Journal of Integrative Neuroscience, Journal of Molecular Neuroscience, Neuropathology and Applied Neurobiology, Molecular Neurobiology, Molecular Psychiatry.

 

Conclusions du BCF

A partir d’un livre de psychologie populaire aux généralisations contestables, Catherine Vincent laisse entendre que la science n’a pas grand chose à dire sur les différences homme-femme. Il n’en est rien et l’exploration de ces différences du point de vue évolutionnaire, génétique et neurobiologique a au contraire connu sa plus grande progression au cours des 15 dernières années. Mais il est vrai que pour des raisons essentiellement idéologiques, une partie des fabricants d’opinion préfère s’en tenir à la dogmatique environnementaliste héritée d’un âge désormais révolu de la pensée.




Qu’est-ce que le Bureau des Contre-Falsifications (BCF) ?