La violence masculine vue par
Le Monde Diplomatique

Rapport du Bureau des Contre-Falsifications, 30 juin 2004.

 

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Objet


Éditorial d’Ignacio Ramonet : “ Violence mâle ” dans le Monde Diplomatique, juillet 2004, p. 1

Contexte


Ignacio Ramonet évoque la violence dont sont victimes les femmes, sur la base d’un certain nombres d’études. Il explique la violence masculine par les résidus du “ patriarcat ”, en contradiction avec les données qu’il avance. Données dont la présentation objective est par ailleurs sacrifiée à la conscience de classe de l’auteur…

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Falsification n°1


“ En France, selon les statistiques, l’agresseur est en majorité un homme bénéficiant par sa fonction professionnelle d’un certain pouvoir. On remarque une proportion très importante de cadres (67%), de professionnels de la santé (25%) et d’officiers de la police ou de l’armée ”.

Vérité


Ignacio Ramonet cite textuellement (mais sans les guillemets de référence) le Rapport Henrion (Henrion 2001). Or, cette phrase concerne seulement le commentaire d’une étude (non quantifiée) sur les homicides analysés par l’Institut médico-légal de Paris au cours de l’année 1998. Le même Rapport Henrion précise sur la base d’autres études concernant la violence domestique (et non les homicides) que celle-ci est plus fréquente lorsque le conjoint est sans emploi (étude Saurel-Cubizolles de 1997 sur 761 femmes, étude Thomas et al. de 2000). L’enquête Chambonnet et al. (2000), mentionnée dans le Rapport Henrion, précise que les déterminants de la violence domestique les plus souvent évoqués par les médecins traitants sont l’alcoolisme (93%), le conjoint connu comme violent (57%) et les problèmes sociaux (52% précarisé, 48% milieu défavorisé). L’enquête ENVEFF, également citée par le Rapport Henrion, a étudié 6970 femmes victimes de violence entre mars et juillet 2000. Pour une moyenne de 9% de femmes de l’échantillon ayant subi des violences dans l’année écoulée, on trouve une sur-représentation chez les femmes chômeuses (11,9%), étudiantes (11,1%), inactives (9,4%). Les cadres et professions intellectuelles sont à 8,7% (en-dessous de la moyenne, tout comme les ouvriers par ailleurs).

Le Rapport mondial sur la violence et la santé, publié en 2002 par l’OMS, cité par Ramonet et collectant notamment 216 études parues sur la violence conjugale dans le monde, précise que “ parmi les facteurs démographiques, le jeune âge et les faibles revenus revenaient constamment comme étant des facteurs liés à la probabilité qu’un homme utilise la violence physique contre sa partenaire ” (p. 108). Le même Rapport souligne qu’“ un statut socio-économique élevé protège dans une certaine mesure du risque de violence physique contre un partenaire intime, encore qu’il existe des exceptions ” (p. 110).

Les faits convergent vers une même conclusion : la violence conjugale, si elle est répandue à tous les niveaux de la société, est plus fréquemment associée à la pauvreté et à la précarité. Le chiffre de 67% de cadres impliqués, mis en exergue par Ignacio Ramonet dans son éditorial, relève du fantasme et non de la réalité.

Une corrélation n’est pas une détermination : la pauvreté n’est pas nécessairement une cause directe de la violence conjugale. On doit plutôt rechercher des facteurs communs expliquant à la fois la pauvreté, l’addiction (généralement alcool) et la violence. L’impulsivité, la recherche compulsive de sensation / récompense et la faible intelligence semblent les facteurs neurobiologiques primaires associés à la violence sociale en général, la violence contre les femmes en particulier. Nous parlons ici de violence physique, la violence morale étant beaucoup plus difficile à mesurer.

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Falsification n°2


Ignacio Ramonet écrit : “ Ce type de violence est le reflet des relations de pouvoir historiquement inégales entre hommes et femmes. Due en particulier au patriarcat […] C’est ce système qui engendre des violences. Et qu’il faut liquider par des lois appropriées”

Vérité


Nous avons là un grand classique du préjugé environnementaliste : tel phénomène est dû à telle structure socio-historique ; il suffit d’une loi (changement d’environnement et de structure) pour changer la réalité.

Mais Ignacio Ramonet réussit le tour de force de se contredire lui-même. Il remarque ainsi, quelques lignes plus haut : “ Dans le sinistre palmarès des pays les plus féminicides, immédiatement après la Roumanie se situent des pays dans lesquels, paradoxalement, les droits des femmes sont les mieux représentés comme la Finlande [… ] 8,65 femmes tuées [par million] dans le huis clos domestique, suivie par la Norvège (6,58), le Luxembourg (5,56), le Danemark (5,42) et la Suède (4,59) ”. L’auteur constate donc que les avancées sociales et législatives ne sont pas corrélées à une baisse de la violence domestique, des pays réputés “ patriarcaux ” comme l’Italie ou l’Espagne se situant mieux que les pays nordiques. Ce qui est en flagrante contradiction avec la théorie de la violence “ systémique ” d’origine environnementale.

Pour trouver une explication à la violence conjugale, il vaut mieux partir d’une anthropologie réaliste. C’est-à-dire biologique et darwinienne en premier lieu.

Dans toutes les sociétés humaines, présentes ou passées, l’alliance reproductive entre un homme et une femme est formalisée. Dans les sociétés occidentales, cette alliance prend la forme du mariage. Autre constante transculturelle : l’adultère, c’est-à-dire l’acte sexuel en dehors de la liaison socialement reconnue, est réprimé et il est tout particulièrement réprimé pour les femmes. Avant 1810, aucune société n’a jamais criminalisé l’adultère masculin. Dans les mondes primitifs et traditionnels, ainsi que le relevait Claude Lévi-Strauss, le mariage n’est pas tant l’affaire des époux qu’un échange de propriété contracté entre hommes. Sur 860 sociétés observées (Buss 1994), 743 pratiquent soit l’échange direct des femmes, soit l’échange de la prétendue contre des biens et des services. Les femmes sont considérées comme une ressource.

Cette inéquité de traitement du point de vue du mariage comme de l’adultère trouve probablement son origine dans l’évolution sexuelle des primates ayant mené à l’homme. Notre espèce pratique très majoritairement une polygamie modérée en faveur de l’homme (polygynie). Les deux sexes ne possèdent pas la même stratégie : la femme possède peu d’ovules et des contraintes de gestation ; l’homme beaucoup de spermatozoïdes et aucune contrainte potentielle après la fécondation. Il en résulte que l’homme a moins d’obligation dans l’investissement parental que la femme, sa meilleure stratégie pouvant être de féconder le maximum de femmes en se souciant peu de sa descendance. Il découle aussi de cette stratégie une forte compétition entre les hommes pour l’accès aux femmes. Doublée d’une incertitude permanente sur la paternité : une mère est toujours sûre d’être biologiquement apparenté à son enfant, un homme jamais (du moins avant l’invention récente des tests génétiques de paternité). Du point de vue du tempérament, cela se traduit par une jalousie sexuelle plus marquée chez l’homme que chez la femme, cette dernière redoutant plus l’abandon (jalousie sentimentale).

Ce tableau très rapidement brossé (cf. Barash 2001, Buss 1994) explique en partie la répartition des crimes conjugaux telle que les reflètent les statistiques. Et d’abord les lois ou les pratiques de justice : l’adultère est souvent considéré par les textes ou par les jurés comme une “ circonstance atténuante ” pour les crimes passionnels. Ainsi, jusqu’en 1974, l’Etat du Texas décriminalisait l’homicide si celui-ci était commis par l’homme surprenant un acte adultérin. L’homme… mais pas la femme.

Sur les 23 crimes répertoriés à Detroit en 1972 comme fruit de la jalousie, 16 ont été commis par des hommes contre 7 seulement par des femmes. Une étude sur les meurtres de Miami en 1980 révèle la même disparité : 17 cas de jalousie masculine ayant entraîné un homicide contre 4 seulement de jalousie féminine. Les statistiques criminelles du Canada entre 1974 et 1983 aboutissent à des résultats similaires. Les crimes commis pour le motif explicite de jalousie concernent 195 fois un époux meurtrier contre 19 fois seulement une épouse. Il est à noter que les proportions de la jalousie sont sans doute sous-estimées, car d’autres catégories de mobiles (querelles, 353 homicides féminins contre 160 homicides masculins, colère, 84 homicides féminins contre 22 homicides masculins) recouvrent probablement la même réalité.

Un autre type d’argument appuie l’analyse évolutionnaire de la motivation des crimes conjugaux. Dans les cas recensés au Canada, le risque pour l’épouse légale d’être tuée est maximal au début de la période reproductive : taux de 34 pour un million avant 20 ans, 13 à 20-24 ans, 12 à 25-29 ans, 11 à 30-34 ans avec une baisse régulière à mesure que l’on avance vers l’âge de la ménopause. Le crime conjugal exprime ainsi dans la majorité des cas la violence coercitive d’un homme qui craint de perdre le “ monopole ” procréatif que représente son épouse.

Nous avons évoqué là les homicides. Fort heureusement, les violences domestiques n’ont que très rarement une issue fatale. Mais dans l’immense majorité des cas, ce sont les hommes qui en sont responsables. Pour des raisons biologiques.

La propension à développer un comportement colérique et agressif est liée aux hormones sexuelles mâles, les androgènes. On dispose d’un grand nombre de preuves expérimentales du phénomène. La testostérone est une structure chimique relativement simple, dérivée du cholestérol. Cette hormone est responsable du développement masculin de l’embryon porteur d’un chromosome Y chez les espèces sexuées. La testostérone circule dans le sang, soit sous forme libre (que l’on retrouve dans la salive), soit liée à une protéine. L’association entre taux d’hormone et niveau d’agressivité a été mise en évidence par Berthold dès 1849. Ce chercheur allemand a castré des coqs de basse-cour et constaté que ceux-ci perdraient alors tout comportement agressif. L’expérience a été réalisée chez de nombreuses espèces. Des souris ou des rats de laboratoires castrés perdent leur comportement violent, mais le retrouvent si on leur injecte des androgènes. Non seulement l’agression offensive est neutralisée après la castration, mais c’est aussi le cas de l’agression défensive.

Plusieurs études sur les êtres humains ont confirmé ces données. Les prisonniers mâles ont en moyenne des taux de testostérone supérieurs à la moyenne (Ehrenkranz, Bliss, Sheard 1974) et il en va de même pour les femmes (Dabbs et al. 1988). On a trouvé également une production supérieure d’androgènes chez les anciens combattants ayant manifesté des comportements antisociaux (Dabbs et Morris 1990). Une étude sur les 4462 vétérans du Vietnam montre ainsi que les combattants impliqués par la suite des actes de violence possèdent un taux plus élevé de testostérone. L’agressivité manifestée est cependant corrélée au niveau social des sujets : le risque de violence est doublé par les classes les plus pauvres, mais reste à peu près identique pour les classes supérieures.

Le niveau de testostérone tend également à monter chez les personnes victorieuses dans une compétition ou un défi, alors que la défaite a un effet inverse. De même, les hommes mariés produisent moins de testostérone que les célibataires. L’hormone semble donc liée à la sexualité, à l’agression et à la recherche de statut. Elle contribue à expliquer le taux élevé de délinquance constaté chez les adolescents et jeunes adultes. Entre 1989 et 1994, aux États-Unis, 46,3 % des crimes violents étaient commis par des jeunes de 14 à 17 ans. Ce phénomène de montée de la délinquance juvénile se constate dans la plupart des grandes cités des pays industrialisés. On constate que les jeunes couples et les premiers mariages sont des circonstances favorisant la violence conjugale (synthèse des données chez Daly et Wilson 1998, Rowe 2002).

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Conclusion


Éditorialiste de l’influent Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet illustre bien les travers de la Pensée Officielle Française : analyse partiale et imprécise des faits, interprétations biaisées par des préjugés idéologiques. Le problème (bien réel) de la violence conjugale s’inscrit dans le cadre plus large de la violence masculine, héritée notre passé de primate social. Une prévention efficace suppose de reconnaître d’abord l’existence d’individus à risque, du fait de leurs prédispositions biologiques et de leur développement socioculturel.

 

Références

Barash David P., Judith E. Lipton, 2001, The myth of Monogamy. Fidelity and Infidelity in Animals and People, New York, Freeman.

Buss David M., 1994, The Evolution of Desire. Strategies of Human Mating, New York, Basic Books.

Dabbs J. et al., 1988, Saliva testosterone and criminal violence among women, Personallity and Indiviudal differences, 9, 269-75.

Dabbs, J., R. Morris, 1990, Testosteron, social class and antisocial behavior in a sample of 4,462 men, Psychological Science, 1, 209-11.

Daly Martin, Margo Wilson, 1998, Homicide, New York, Aldine de Gruyter.

Ehrenkranz et al., 1974, Plasma testosterone : Correlation with agressive behavior and social dominance in man, Psychosomatic Medicine, 36, 468-75.

Henrion Roger, 2001, Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé, Paris, La Documentation française.

OMS, 2002, Rapport mondial sur la violence et la santé. Disponible à : www.who.org

Rowe David C., 2002, Biology and Crime, Los Angeles, Roxbury Pub. Comp.