Aphorismes mutants

Science, conscience et évolution

 

Énigme de l'enfance - Qu’est-ce que la science ? Une réponse à l'évidence du monde et à l'étonnement qu'il suscite encore chez les êtres curieux. Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? Comment devient-on ce que l'on est ? Telles sont les énigmes qui nous saisissent dès l'enfance.

Amor fati  - " La science explique le comment, mais elle ne nous dit rien sur le pourquoi ". Cette critique repose sur un postulat : le cosmos et la vie auraient une finalité. Mais s'il n'en est rien, le comment et le pourquoi deviennent une seule et même chose. Décrire l'ordre transitoire de la matière résout la question du sens. Voilà qui déplaît beaucoup à ceux qui attribuent un sens exagéré à leur existence. L'homme, singe à l’orgueil mal placé.


Réalité, besoin et jeu - La science est l'amante du réel. Elle parle directement de ce qui est (physique) ou de ce qui vit (biologie), par exemple, non de ce qui pourrait être ou de ce qui devrait vivre. Ce discours du monde se déploie donc dans l'opposition aux discours des arrière-mondes, aux ennuyeuses métaphysiques et théologies biscornues. Pourquoi l'homme a-t-il vécu si longtemps à l'ombre des chimères ? Par besoin pour le plus grand nombre, par jeu pour quelques-uns. Les philosophes devinrent ainsi les joueurs subtils des arrière-mondes. La science devra à son tour apprendre le langage du besoin et du jeu, car elle s'adresse à des hommes, et non à des dieux.


Effondrement des châteaux de cartes - Économie, politique, morale nos esprits s’enflamment surtout pour les affaires humaines. En ce domaine, chacun y va de sa théorie. Assez curieusement, la plupart ont oublié l'idée simple selon laquelle il faut d'abord connaître l'homme pour interpréter ses actions. Un penseur représentatif de cet oubli est Kant : il affirmait certes que la réponse à la question " qu'est-ce que l'homme ? " serait déterminante pour la philosophie ; il développa néanmoins une théorie morale fondée sur un navrant idéalisme, dont les présupposés ont peu à voir avec tout ce que nous connaissons, depuis longtemps et par la seule évidence de l’expérience, de la nature humaine. Lorsque soufflera le vent d'une psychologie nouvelle, d'une psychologie scientifique décrivant l'esprit de l'animal humain sans s'encombrer des précautions d’usage, bien des théories de l'économie, de la politique, de la morale et d'autres affaires humaines s'effondreront comme des châteaux de cartes.


Lucidité - La science ne nous enseigne peut-être pas la vérité, mais elle nous aide au moins à combattre les mensonges.


Appris à l'école du réalisme - Les interprétations sont des faits.


Le marbre - Face à l'explication scientifique d'un phénomène, trois attitudes : la fuite, la réfutation ou le dépassement. La fuite relève de l'ignorance volontaire : pour l'ériger en modèle, il faut se sentir l'âme d’un berger dogmatique dirigeant un troupeau d'imbéciles. La réfutation et le dépassement s'inscrivent nécessairement dans la science. La première s'y inscrit totalement, puisqu'elle s'exerce dans le langage scientifique et à l'intérieur de ses démonstrations ; la seconde partiellement, puisqu’elle doit d'abord avoir intégré le raisonnement scientifique pour l'englober ensuite dans une explication plus vaste. Dans les deux cas, la science s'impose comme socle de la pensée. Un marbre poli et repoli par les générations de sculpteurs, qui se succèdent depuis les premiers physiciens des côtes grecques.


Métamorphoses - Les représentations du monde subissent l'évolution autant que les espèces : elles évoluent par adaptation, mutation et sélection. Contrairement aux postures dogmatiques, la science accepte la mutation comme un principe de croissance. Sa vie est métamorphique. 


Mathématiques du beau  - La dynamique scientifique se fonde sur la créativité, au même titre que l'art. L’intelligence en est une condition nécessaire, mais non suffisante. Il lui faut encore cette insatisfaction qui attise l'imagination, cette étincelle qui embrase l'esprit. Certains problèmes scientifiques parmi les plus ardus ont été d’abord résolus en rêve. Et un bon mathématicien sait que son équation est juste avant même de l'avoir vérifié. Il le sait car cette équation est belle. 


L’appel des mondes à naître - Quoique rationnelle dans sa formulation, la science interroge aussi l'imaginaire : non seulement elle ne connaît pas les limites étroites du sens commun, mais elle ouvre aussi à des mondes infiniment grands et petits, proches et lointains, fascinants et effrayants. Dans sa forme habilement vulgarisée, la science offre un grand récit pourvoyeur de sens et de désir. Il est ainsi possible de développer des projections émotives, passionnelles ou oniriques sur la base de ses découvertes. La science n'est donc nullement desséchante au sens où elle imposerait fatalement le désenchantement du monde, l" esprit positif " dans ce qu'il a de plus plat et triste. Le premier enchantement de l'histoire humaine, issu du paléolithique et du néolithique, est en voie de disparition. Mais on entrevoit un réenchantement à l'œuvre dans nos sociétés technoscientifiques. Ainsi, la science-fiction : cette véritable " mythologie du futur " n'a pas encore brillé de tous ses feux. 


Systémique du chaos organisé - L'espoir d'une évolution du monde en isolats ethniques et culturels est contradictoire avec tout ce que nous savons de l'histoire et de la nature humaines. Si nous allons sans aucun doute vers une fragmentation à l'échelle mondiale, s'inscrivant dans des temporalités différentes, il n'en reste pas moins que le système universel d'échanges (cognitifs, commerciaux, culturels, etc.) continuera à se développer vers une intégration de plus en plus intense. Cela pour des raisons systémiques, et non idéologiques : tout système complexe ouvert croit vers plus d'ouverture et plus de complexification. La science et la technique seront nécessairement l'infrastructure de ce système-là - le marché en est une superstructure. 


Biopolitique du capital - Le capitalisme se déploie comme une biopolitique en ce que la création de valeur y est toujours appréciée en proportion de la survie du capital lui-même, mais aussi du producteur et du consommateur. Or, cette survie perd son sens dès lors qu'elle en arrive à nier la vie dont elle tire existence. Voilà pourquoi la science du capital, encore à naître, sera bien plus qu'une économie politique : elle sera aussi bien économie biologique et physique. 


Le dressage - Parce qu’il portera la plus lourde responsabilité, le scientifique de l'avenir devra être dressé avec la plus délicate attention et avec la plus sévère exigence. Tout commencera pour lui au-delà de l'excellence en sa propre discipline : il lui faudra connaître le meilleur de ce que porta l'homme et trouver les moyens de l'élever plus haut encore. 


Une saine égalité - Les capacités cognitives innées d'un individu sont décelables avant l'adolescence. Mais pour les déceler, encore faut-il que règne la plus stricte égalité dans l'éducation. A cette condition en effet, les seules différences manifestées entre les êtres sont d'origine biologique, et non environnementale. Ces bien-nés devront apprendre le seul droit que leur a conférés la naissance : celui de se dépasser. 


Idoles en péril - Dans de nombreux domaines,  surtout la biologie et les sciences cognitives, la science a entamé une lente, inexorable et joyeuse destruction des idoles chrétiennes et modernes. Nous approchons peu à peu du garde-fou suprême, l'unicité de l'homme, le nécessaire attachement des individus à l'espèce du singe raté. Que ce tabou saute et tout redeviendra possible. 


Différence sans répétition - A travers la science et la technique, l'espèce humaine n'est plus engagée dans une répétition d'elle-même, mais dans une mutation. Qui seront les premiers mutants ?


Le Vrai et le Faux -  Le faux se démontre, autant que le vrai. La science, activité réfutante, école véritable du sens.
Gènes de savoir - Nous naissons avec quelques intuitions remarquables : dès les premières lueurs de son existence, le nouveau-né distingue les nombres, la force de la pesanteur, le vivant de l¹inerte, le sucré de l¹amer. Voilà la graine qui donnera les mathématiciens, les physiciens, les biologistes, les chimistes...


La mort de l¹homme - Nos désirs simples étant devenus réalités par le fait de la science et de ses applications techniques, nous chercherons des désirs toujours plus aigus, plus fous, plus grands - et aussi bien plus vulgaires, plus conformes, plus médiocres. Ceux qu¹agace l¹innocence de l¹enfant voudront imposer des clôtures à ces désirs. Mais où trouveront-ils donc le bois de leur barrière ? Dieu est déjà mort, et l¹homme ne tardera pas à le rejoindre dans le cimetière des idées disparues. 


Potentialités créatrices - La technologie est le bras armé de la science. Grâce à elle, nous maîtriserons l'énergie qui sommeille au cœur des étoiles, nous arpenterons les galaxies, nous serons les enfants centenaires - nous, système nerveux du monde, sa mémoire centrale. 


Potentialités destructrices - Notre force est aussi notre faiblesse. Nous sommes les singes qui rongeons l'écorce du monde, avec frénésie. Puissant virus, notre état normal devient parasitaire. Sortir du petit humain comme le papillon de sa chrysalide... plus qu'un objectif, un impératif.