QI et intelligence vus
par Sciences et Avenir

Rapport du Bureau des Contre-Falsifications,
20 juin 2004


 

Objet


Article de Hervé Ratel : “ 100 milliards de neurones et 5 idées reçues ” dans Sciences et Avenir, mai 2004, pp. 56-57.

Contexte


Dans ce numéro consacré à l’amélioration du cerveau, Hervé Ratel publie une double page sur les idées reçues. Et se fait le porte-parole d’une de ces idées reçues : le QI ne mesure pas l’intelligence.

 

Falsification n°1


Hervé Ratel écrit : “ Les tests de QI mesurent avant tout… l’aptitude à bien répondre aux tests de QI. Ou, au maximum, sanctionnent certaines aptitudes logiques et analytiques ”.

Vérité


Le QI mesure ce que les psychométriciens appellent la capacité cognitive générale ou facteur g. Celle-ci correspond à la définition de l’intelligence que donne le sens commun (Cooper 1999, Deary 2000, Huteau et al. 1999, Jensen 1998, Mackintosh 1998, Sternberg 2002). Plusieurs centaines de psychologues se sont vus posés la question de la définition de l’intelligence (Snyderman et al. 1988). Leurs trois premières réponses ont été : raisonnement ou capacité de pensée abstraite (99,3% des réponses), aptitude à résoudre des problèmes (97,7%), capacité à acquérir des connaissances (96%). Cela correspond à une définition de bon sens de l’intelligence.

Les tests de QI sont conçus par analyse factorielle, c’est-à-dire qu’ils mesurent chacune des capacités cognitives spécifiques auxquelles est corrélée la capacité cognitive générale. Huit facteurs sont ainsi impliqués dans l’intelligence telle que la mesure les tests de QI : intelligence fluide (raisonnement abstrait), intelligence cristallisée (raisonnement concret), mémoire et apprentissage, perception visuelle, perception auditive, récupération de mémoire à long terme, rapidité cognitive, vitesse de traitement et de décision (Carroll 1993). Dans chacun de ces huit facteurs, on évalue la puissance de la capacité et sa rapidité. On est donc loin des “ seules aptitudes logiques et analytiques ” - qui constituent en tout état de cause une part importante de l’intelligence humaine.

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Falsification n°2


Hervé Ratel écrit : “ Le but des tests de QI n’est pas de mesurer l’intelligence mais le développement de certaines capacités intellectuelles d’un sujet afin de le classer dans une population de référence ”.

Vérité


Cette assertion ne signifie pas grand chose. Depuis leur premier usage massif dans l’éducation par Binet et Simon (1905), les tests de quotient intellectuel mesurent, c’est-à-dire quantifient. Que cette mesure soit relative à une population de référence (dont le QI moyen est conventionnellement fixé à 100) ne change rien (Haddou 1999, Mackintosh 1998).

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Falsification n°3


Hervé Ratel écrit : “ Etant donné les diversités culturelles, les tests de QI ne peuvent prétendre à l’universalité ”.

Vérité


Il existe sans doute certains biais empêchant de faire passer les tests de QI à des populations analphabétisées. Mais les tests standardisés permettent de mesurer efficacement depuis un siècle l’intelligence des enfants scolarisés des sociétés industrielles, et ce quelle que soit leur origine ethnique ou leur identité culturelle.

Par ailleurs, les tests les plus corrélés au facteur g sont les Matrices de Raven. Ce sont des tests purement visuels, sans aucune référence culturelle (ni même aucun mot), faisant appel aux seules capacités d’induction et de déduction (Cooper 1999, Haddou 1999, Jensen 1998).

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Falsification n°4


Hervé Ratel écrit : “ La véritable intelligence est la capacité de tirer le meilleur parti de son environnement ”.

Vérité


On se demande pourquoi cette définition assénée sans aucun argument serait meilleure qu’une autre. Elle est très générale et ne dit pas grand chose sur l’intelligence.

A leur manière, les enfants ayant de bons QI sont aujourd’hui ceux qui tirent le meilleur parti de leur environnement. Ainsi, le QI est positivement corrélé à la réussite scolaire (0,40-0,70), au nombre d’années d’études (0,40-0,60), à la profession en échelle SES (0,40-0,60) (Deary 2000, Jensen 1998). Il est de toute façon peu probable que le manque d’intelligence ait été adaptatif au cours de l’évolution humaine.

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Falsification n°5


Hervé Ratel : “ A côté de l’intelligence logique que les tests de QI essaient de mesurer s’agencent l’intelligence gestuelle d’un danseur, l’intelligence linguistique de l’écrivain, l’intelligence émotionnelle, celle qui permet de connaître les autres autant que soi-même ”.

Vérité


Ratel s’inspire ici (sans le citer ) de Howard Gardner (2000), qui a forgé la théorie des intelligences multiples. Le problème est que Gardner n’a jamais proposé le moindre test pour évaluer ces intelligences, de sorte que son hypothèse n’est pas corroborée par des faits (contrairement à d’autres évaluations factorielles qui reconnaissent plusieurs types d’intelligence, sans remettre en cause l’existence du facteur g, cf. par exemple Sternberg 2000).

La thèse des intelligences multiples repose sur un détournement sémantique grossier. L’intelligence gestuelle d’un danseur se nomme la grâce (et non l’intelligence) ; l’intelligence linguistique d’un écrivain se nomme le style (et non l’intelligence) ; l’intelligence émotionnelle qui permet de comprendre les autres se nomme l’empathie (et non l’intelligence). Et ainsi de suite. Toutes ces qualités sont bien sûr dignes d’intérêt. Mais elles n’annulent pas la spécificité de l’intelligence.

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Conclusion


Hervé Ratel prétend lutter contre les idées reçues. Mais son propos sur l’intelligence ne fait que colporter la vulgate de l’idéologie dominante en France et en Europe, sans rapport factuel aucun avec les découvertes scientifiques les plus récentes. Comme le remarquent Jeremy R. Gray et Paul M. Thompson (2004), dans un article paru simultanément (mais dans une revue scientifique de référence), “ les études cognitives, psychométriques, génétiques et de neuro-imagerie sont en train de converger et l’émergence de modèles mécanistes de l’intelligence est inévitable ”.



 

Références

Carroll J.B. (1993), Human Cognitive Abilities a Survey of Factor Analytic Studies, Cambridge, Cambridge University Press.

Cooper C. (1999), Intelligence and Abilities, Londres, Routledge.

Deary I.J. (2000), Looking Down on Human Intelligence: FromPsychometrics to the Brain, Oxford, New York, Oxford university Press.

Gardner H. (2000), Intelligence Reframed : Multiple Intelligences for the 21st Century, New York, Basic Books.

Gray J.R., P.M. Thompson (2004), Neurobiology of intelligence. Science and ethics, Nat. Rev. Neurosc., jun, 5, 471-82.

Haddou M. (1999), Tests et Evaluation de l'intelligence, Paris, Flammarion.

Huteau M., J. Lautrey (1999), Evaluer l’intelligence. Psychométrie cognitive, Paris, PUF

Jensen A.R. (1998), The G Factor : The Science of Mental Ability, New York, Praeger.

Mackintosh N.J. (1998), IQ and Human Intelligence, Oxford, New York, Oxford University Press.

Snyderman M., S. Rothman (1988), The IQ Controversy, the Media and PublicPolicy, Rutgers, Transaction Books.

Sternberg R.J. (2000), Handbook of Intelligence, Cambridge, Cambridge University Press.

Sternberg R.J. et E.L. Grigorenko (ed.) (2002), The General Factor of Intelligence: HowGeneral Is It ?, Mahwah, Erlbaum.


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