Compétition mentale



Message d’un ‘vieux’ mutant.


Qui parle ?

Riton V, metteur en scène en 1976 d’un court-métrage techno-trash adapté du Crash! de Ballard, fondateur du groupe cyberpunk Etat d’Urgence en 1977, devenu pionnier de la technopop française sous le nom d’Artefact en 1978. Compagnon de scène des Mathématiques Moderne, Taxi Girl, Métal Urbain et autres Marquis de Sade, qui, grâce à l’implosion punk, se sont engouffrés dans la brèche d’un combat contre le conformisme post-soixante-huitard.

Plus tard, roboticien dans l’industrie nucléaire (3,5 REM dans les gencives), pionnier de l’animation 3D en 1987,et du multimédia interactif à partir de 1991. Auteur de ‘Dose Létale à Lutèce-Land’, chez Baleine, qui a servi de base à la nouvelle de Dantec ‘Là ou tombent les Anges’.

NOTE AUX MUTANTS : Les kikis, j’estime ne plus rien avoir à prouver quant à mes ‘faits d’armes’ d’auto-expérimentateur cybernétique.

De quoi ? Quelques remarques aux muto-manifestants.

Si l’utopie est un moteur indispensable pour faire carburer le désir, l’idéologie, tout en lui ressemblant, en est l’exacte antithèse. L’Empire Gaulois, dans son obsession aristocratique du contrôle, ne laisse aux manants des sous-cultures que l’espace d’un discours, (et les illusions qui vont avec) qu’il sait récupérer sans coup férir depuis des lustres. De fait, les techno-mondains parisiens perpétuent la tradition d’un pouvoir basé sur l’hérédité et la conservation des institutions, plutôt que celui basé sur les compétences individuelles, et notamment celles développées dans les espaces ouverts des nouvelles techniques. Je n’énumererai pas la liste exhaustive des braves morts au combat. Tout près de nous, début des années 80, la racaille miterrandienne a lancé à l’assaut des forteresses high-tech du satan yankee des armées de yuppies armés de leur bite et de leur couteau, adaptant aux nouvelles technologies une méthode qui a fait ses preuves à Verdun. La narcose machinique, dont parle Mc Luhan, remplaçait l’héroine des GI’s du Vietnam ou le ‘canon’ de rouge du poilu.

Il n’est donc pas étonnant de voir que les sympathiques muto-manifestants, en bons néo-situationnistes tendance cyber tombent dans le panneau des imposteurs (j’ai déjà donné). Il est bien sûr tout à fait inutile de leur rappeler que leur ‘nouveauté’ est exactement la même que celle des futuristes d’il y a presqu’un siècle, mis à part le charabia génético-informatique.

Il va de soi qu’une figure narcissique boursouflée comme Dantec puisse leur servir d’icône. (Je lui ai moi-même indiqué en 1994, dans un rave-party sur une plage de thailande, que ces masses avides de discours métaphysiques millénaristes attendaient leur pourvoyeur d’intoxication verbale.) Son Théâtre des Opérations devait être à la base un manifeste, appelé Manuel de Survie en territoire Zéro, et aurait pu être fait en collaboration. Mais un manifeste se fait par définition à plusieurs, ce que l’égo mégalomaniaque de ‘G’ -voir mon article Implosion du Staline sous Valium- ne peut accepter. J’ai pu encore une fois constater dans son article hallucino-baudrillardesque ’Vers une transmutation biopolitique de l'économie humaine’ avec quelle rage il étale toutes ses dimensions de bidonneur autodestructif. (Notons qu’il est encore un poil plus modeste que le troisième Reich pour ne parler que des mille ans à venir.) Tout en se réfèrant à la science comme ses ancêtres marxistes, le rationalisme bourgeois qu’il pourfend -simple ‘paille’ de contradiction dans sa forêt de névroses- lui sert à mieux imposer ses fantasmes de magie noire. (Il ne s’est visiblement pas remis de ce yellow sunshine pris en 1975.)

Mais revenons à tes amis. Une fois de plus, la carte n’est pas le territoire. Les métaphores biologiques sont à la base de la cybernétique et il est parfaitement stupide de réappliquer à la biologie les pratiques cybernétiques. Il s’agit d’une confusion de niveau, comme si je te dis ‘Le chat n’est pas là, les souris dansent.’ Tu me répondais ‘Je n’ai pas de chat.’ Leur manifeste en est truffé. Exemple : (Mutation mode d’emploi) ‘Ce texte est un réseau de neurones…’

Non. Un texte n’est pas un réseau de neurones. Éventuellement, un texte pourrait être représenté par une configuration synaptique, si on savait seulement les décoder. Pour se référer à la science, comme méthode, il faut en accepter les procédures logiques. (Ce qui ne veut pas dire que l’on accepte la science dans tous ses aspects, comme par exemple, celui d’un pouvoir social normatif. En d’autres termes, ne pas confondre l’expérience mystique et les canons de l’église. Voir Isabelle Stengers)

Par contre, ce qui est intéressant, c’est ce que nous ‘disent’ leurs illusions forcenées. A mon avis, ce fantasme d’accélération mutationelle n’est qu’un leurre destiné à leur faire oublier l’inertie réelle de la société gauloise. C’est un jouet, un hochet tout juste digne de ces ‘puérils américains’, que brandissent avec régularité les vieilles putes de l’underground, actuellien ou inrockuptible. J’ai constaté l’unilatéral mépris avec lequel ils ont reçu mon article ébréchant leur icône damtechienne. En effet, eux seuls se sentent patentés pour déboulonner les pantins qui leur servent de vitrine. Il leur est insupprtable d’avouer qu’ils se sont trompés, et que leur superman rebelle n’est qu’un avatar technoide de BHL, un nain blafard admirateur de Bush et de la peine de mort. Car ces braves ex-maoistes, qui règnent sur le monde du rock ou du polard, nous ont servi du complot capitaliste par tombereaux, mais il serait contre-révolutionnaire et paranoiaque d’émettre juste l’idée que leurs choix littéraires et artistiques soient le fait d’un marketing idéologique limpide de crétinisme : vendre du futur préemballé.

‘Il faut muter’, disait Jean Ternisien notre guitariste en compagnie de Jacno dans cet article paru dans Actuel en 1978, ‘les Jeunes Gens Modernes Aiment leur Maman’. Il mourra d’un accident de voiture, et Jacno a dépensé les millions lourds de son tube électronique en champagne et autres substances. Voilà ce qui attend la plupart de nos petits requins DJ’s aux dents longues et à la mémoire courte.

Affirmer être différents, voilà qui est absolument louable. Penser être les premiers mutants, c’est prendre ses désirs pour la réalité. Et l’illusion détruit toujours le rêve, quoiqu’en pensent nos pseudo-poètes constructivistes du darwinisme techno, toujours prompts à dénoncer les ‘réacs’.

Au final, ce mépris pour leur corps -supposant une obsolescence de l’être humain- affiché par Stelarc, Damtech ou les cybergurus du MIT, aura exactement l’effet contraire de leur naives prévisions technoptimistes, et autres tartarinades de la tabula rasa. En d’autres termes, il s’agit d’un coup d’état dont le prétexte est la technologie, mais qui porte en lui-même le mépris de la technologie. L’enculerie du contrôle social orwellien est d’ores et déjà la réalité de la cyberculture, et la race techno-mondaine qui convoite les meilleures places, pérorant sur les forums télévisuels ou web-médiocratiques sont déjà maîtres de leurs domaines virtuels respectifs, alimentant de bien réels comptes en banque.


Réponse d’un Mutant éternel

Qui parle ?


Jeune chercheur, j’officie dans une société multinationale concevant (entre autres) des molécules thérapeutiques. Je ne suis évidemment pas dupe des stratégies commerciales de ma firme : la promesse (sincère) de guérir le mal s’échange contre le désir (sincère) de transformer la survie en offre marchande. Néanmoins, je ne me pose pas de questions inutiles : je suis simplement content de disposer des meilleurs outils pour mes travaux. Par ailleurs, sous le nom de Mutaspontex, je travaille clandestinement à l’extension du domaine de la vie dans le cadre de la Mutation, projet planétaire de dépassement de l’espèce humaine par une communauté pionnière.

De quoi ? Des critiques d’un vieux mutant, auxquelles je réponds par segments.

Avant d’être un discours, un désir ou un rêve, la bio-expérimentation est d’abord une réalité quotidienne. Contrairement à la génération cyberpunk de Riton, ma pratique ne se situe absolument pas dans la marginalité dopée par des technologies émergentes, mais dans l’usage direct de ces dernières, et cela au cœur d’une société décriée tour à tour comme “ spectaculaire ”, “ marchande ”, “ fasciste ”, “ décadente ”, “ pourrie ”, “ globalitaire ”, etc. Tous ces adjectifs reflètent à mes yeux l’impuissance des contestataires de droite, de gauche ou d’ailleurs, dont les mots sont toujours en retard sur la réalité. Leur morale n’est pas la mienne, comme dirait Léon : en fait, je n’ai pas de morale. Les êtres animés par le resentiment me paraissent nettement moins dignes d’intérêt que les capucins sur lesquels on teste mes formules.

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“ Empire gaulois ” ?? S’il s’agit de la France, le syntagme n’est guère parlant. Je suggère plutôt “ Bétaillère triste ”, “ Guignol’s Band ” ou “ Société anonyme ”.

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L’imaginaire mutant n’est pas celui de la périphérie menaçant le centre, de la marge agressant la norme, du faible se révoltant contre le fort, etc. Le problème n’est plus de porter contradiction au monde actuel, mais d’en extraire un type humain que nous posons, arbitrairement donc souverainement, comme désirable. La dislocation des identités historiques et l’avènement des sociétés industrielles de masse sont le préalable nécessaire à cette reconfiguration de l’espèce humaine en types différenciés. Nous applaudissons donc toutes les stratégies actuelles de réduction de l’individu à l’état de viande productrice et consommatrice : car celui qui n’est pas détourné de ce processus par l’instinct et par la raison n’est pas digne de devenir autre chose qu’un tas de viande exploitable. Il faut des esclaves pour que naisse une nouvelle aristocratie, disait oncle Friedrich.

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Je conçois mal l’opposition entre “ hérédité ” et “ compétences individuelles ”, les secondes émergeant à mes yeux de la première, au moins pour l’essentiel. En revanche, la “ conservation des institutions ” est une réalité bureaucratique. En France et en Europe, cette conservation s’appuie notamment sur le refus égalitaire de la répartition aléatoire des compétences héréditaires, sur la prétendue unité du corps biologique, du corps social et du corps politique.

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Je n’habite pas Paris et, détestant cette agglomération qui fut jadis une ville, je m’y rends le moins souvent possible. J’ignore donc ce qui peut bien se dérouler dans ses salons “ techno-mondains ”.

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C’est gentil de comparer les Mutants aux futuristes. Quant à blâmer une nouveauté au seul prétexte qu’elle se situe dans un sillage, je n’en vois pas l’intérêt. Au nom de cette régression ad infinitum, on peut condamner toute oeuvre de l’esprit comme héritière d’une œuvre précédente.

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A ma connaissance, Dantec n’est pas une icône mutante. Cet auteur a quelques intuitions intéressantes et je ne surenchérirai pas sur la critique ritonesque de ses boursouflures, critique évidemment fondée. Une amicale mise en garde à Riton : prends garde à ne pas tomber dans les travers que tu dénonces.

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Le propos des Mutants n’est pas d’appliquer la biologie à la cybernétique ou vice-versa. Les formes naturelles ou artificielles de réplicants sont à nos yeux des manifestations essentiellement identiques de la vie. Et celle-ci est guidée par le processus cosmique d’évolution par sélection des mutations favorables. La Mutation est notamment le passage de cette règle de la conscience potentielle (limbique) à la conscience actuelle (corticale). Un phénomène dont l’ampleur est insoupçonnée et les conséquences insoupçonnables.

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La science n’est pas un pouvoir social normatif. C’est bien dommage : cela vaudrait toujours mieux que la métaphysique, dont le fantôme régit encore l’espèce humaine.

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La carte est le territoire / La carte n’est pas le territoire. Ces deux propositions sont vraies, aussi longtemps que certaines réalités passent par la médiation du langage.

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Le texte du Manifeste des Mutants est bel et bien devenu un réseau de neurones pour toute personne qui l’a lu, à commencer par Riton. Pas mal de confrères neurobiologistes seraient parfaitement capables de le décoder. Il suffirait que les personnes ayant eu connaissance du texte se prêtent à une expérience d’imagerie mentale associée à l’électro-encéphalographie fine. Il serait alors aisé de repérer avec précision le réseau de neurones en question (par un potentiel évoqué préalable). La localisation de ce réseau, sa vitesse, sa latence et sa fréquence d’activation fourniraient même quelques indications sur l’état “ subjectif ” des volontaires. En effet, selon l’importance qu’il donne à une information perçue, notre cerveau ne la classe pas de la même manière ni au même endroit.

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La critique du “ futur préemballé ” par les magazines officiels de la contre-culture française (Inrock et autres) est certainement fondée. Là encore, Riton se trompe totalement de niveau. Pour un Mutant, le futur se lit dans les colloques et les revues scientifiques, dans l’optimisation des processus industriels, dans le mode d’emploi des machines, dans le regard des passants, etc. L’avenir du vivant, j’en parle tous les jours avec mes collègues en prenant un café : inutile pour cela d’aller consommer de mauvaises drogues en triste compagnie dans les raves de la “ contre-hype ” prescrites par Technikart

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Mépris du corps ? Pas vraiment. Les potentialités indivisibles du corps et de l’esprit ont été largement sous-exploitées à la suite du lavage de cerveau imposé par quelques malades mentaux juifs et chrétiens : abstraction de l’âme-esprit, incompréhension de l’incarné, unité utilitaire du sexe et de la reproduction, peur malade de la chair, etc. La Mutation apporte la bonne nouvelle : ton corps t’appartient comme tu appartiens à ton corps. Aucune jouissance ne peut être coupable, même celle qui naît de la souffrance.