Olivier Goulet

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1.Une question con pour commencer : qui es-tu donc Olivier Goulet ?

Attends, je regarde sur Google pour te répondre … (rire) … non, sérieux, j’en suis à ma quatrième mue, la cinquième mutation sera la bonne. Je suis en train de tout préparer, mais vu l’état du monde actuellement, y’a du boulot …

La Relique de l'Homme Bionique, Os humains, composants électroniques,
résine, 200 x 140 x 50 cm, 2001

 

 

2. Ta création est centrée sur la question de l'humain, son corps, sa peau, etc., l'humain en général en tant que problème et matériau à la fois. Pourquoi cette inspiration principale ?

L’homme est à la fois ce qui est le plus proche de nous et de plus mystérieux. D’un point de vu individuel, c’est ce corps qui nous sert d’interface de réception et d'intervention sur le monde. Il est le support de notre conscience qui est une des inventions les plus fabuleuses de la Nature.

D’un point de vu collectif, l’humain révèle tout son paroxysme. Il est un être inabouti qui n’arrive pas à gérer ses pulsions et son affect. Son comportement est problématique, ce qui me pousse à espérer son évolution.

Globalement je me sers de ce qui est visible de l’homme pour parler de ses dysfonctionnements internes.



Boîte d'insectes anthropomorphes n°2, image numérique, 30 x 40 cm, 1998



3.Certains artistes voient l'art comme une expression de la beauté, dans un champ purement (exclusivement esthétique). D'autres, sans nier cette évidence, souhaitent que leur art soit aussi porteur d'un questionnement direct, de nature plus générale (aussi philosophique, scientifique, éthique...). As-tu le sentiment d'appartenir à cette seconde catégorie ? Acceptes-tu la distinction ?

Oui et oui avec quelques remarques : il y a un certain snobisme artistico-artistique qui insiste sur l’importance de l’auto-référence et produit un art déconnecté des préoccupations humaines, il y a aussi tous les artistes qui s’en tiennent à un discours formel. Enfin, il y a ceux qui cherchent à jouer sur les zones troubles de la vie et de la communication. J’en fais parti. Cela dit, la sphère artistique en elle-même ne m’intéresse pas spécialement, c’est juste le moyen de parler de choses qui ne rentrent dans aucune autre case.

Pour en revenir au rapport entre esthétique (plastique) et concept, c’est loin d’être clair. C’est un binôme infernal, à mes yeux les ingrédients indispensables pour faire une pièce de qualité ; cela est bien sur valable dans tous les domaines de l’activité humaine. Le concept est garant de l’intérêt cognitif d’une approche ou d’une problématique, l’esthétique permet la formulation adaptée pour une réception optimale. Quand je dis optimal, ça n’a rien à voir avec le beau, mais avec la compréhension intuitive de l’objet.



Portrait de Gilles Virget, tirage cibachrome, 50 x 40 cm, 2000


4. Tu travailles beaucoup sur la peau (SkinBag et autres). Pourquoi cet organe en particulier ? Au-delà de provocation, que veux-tu faire advenir chez celui qui porte ou qui regarde tes créations ?

La peau est la métaphore de la fragilité de l’homme et de son obligation d’y remédier. La conscience, l’habit et l’extension sont ses principales réponses.

La peau révèle notre territoire identitaire. Elle est la membrane superficielle de notre intériorité, le paysage de notre identité. La peau délimite physiquement notre corps, et c'est finalement l'ultime frontière qui nous permet d'exister en tant qu'individu distinct du reste du monde. Cette enveloppe est une des composantes principales de notre identité, ce qui est à voir.

Pour répondre plus précisément à ta question, je donne 3 exemples chronologiques :

Vers 1994/96, j’ai fait plusieurs séries photographiques qui s’intitulaient Mue, Mutation, Boîtes d’insectes anthropomorphes qui présentent l’homme comme une espèce en voie de disparition et insistent sur l’impératif de changer de peau, c’est à dire muter.

En 1997, je mettais en ligne un site de Vente de territoires par correspondance : j’y vends les parcelles de peau numérisée d’un SDF (Gilles Virget). De manière métaphorique, je voulais parler de la remise en cause de l’intégrité humaine, de la fragmentation de l’identité, du commerce d’organes, du voyeurisme et du couple infernal proxénète / prostitué qui est une bonne grille de lecture du capitalisme libéral.

En 2000, j’ai mis au point le SkinBag (SB), une peau humaine synthétique, avec laquelle je fabrique des sacs comme extension corporelle et des survêtements chargés de redéfinir le corps social. Contrairement à ce qu’on peut penser, le SB s’intéresse avant tout, non pas à l’être nu, mais à l’être social qui se présente aux autres. Comme double peau, le SB propose une nouvelle forme paradoxale de nudité à notre corps, qui intègre désormais nos habits et nos extensions de tous ordres (argent, clés, téléphone, organizer…). Cette nouvelle peau permet de redéfinir les contours élargis de son personnage et de son image.

L’autre aspect qui m’intéresse avec le SB est d’aborder ce que l’on appelle habituellement l’hybridation homme/machine. Je préfère parler de la fusion de l’organique et de l’inorganique. Recouvrir nos machines (SB-computer ou le SB-pixels-banane ) d’une peau organique est un premier pas symbolique vers l’intégration de prothèses électroniques en superficie ou dans notre corps.

Je n’ai jamais cru en un avenir aseptisé comme veulent nous le faire penser les environnements et les simulations en images de synthèse. Le monde de demain ne sera pas hyper clean. Nous n’échapperons pas si vite à notre corps, à ce tas organique que nous sommes. C’est dans notre matière que se construit notre être : sang, chair, graisse, et toutes ces matières molles et complexes constituent le support qui nous permet d’affronter le monde. Ce n’est pas l’organique qui va devenir numérique, mais bien la technologie numérique qui va devenir organique.

Puisqu’on a glissé en hors sujet continuons puisque ça va dans le sens des idées mutantes que vous énoncez. Si l’on constate aujourd’hui que les appareils technologiques sont rendus obsolètes dès leur conception, l’homme lui aussi est voué à disparaître ou à accepter sa mutation pour sa survie individuelle et collective.



5. Et la provocation ?

La provocation, elle n’est pas une fin en soi, mais un vecteur de communication. Elle ouvre une possibilité de contact, soit verbale soit tactile. C’est ce mélange de l’attirant et du repoussant qui m’intéresse toujours.

Le SkinBag provoque par exemple des réactions qui vont de l'attirance irraisonnée de type passionnel au malaise, voire à la répulsion. Certains refusent carrément tout contact, voire toute discussion, tant ils se laissent dominer par leur dégoût. D’autres voient dans certains sacs des "placentas portatifs" et perçoivent les anses comme des cordons ombilicaux. La mollesse des sacs évoque la membrane, la muqueuse, des tissus bizarres de l’intérieur de notre corps, la partie primaire, trouble, voire informe de nous-mêmes.

D’autres personnes dépassent le malaise initial et trouvent ce type de détournement du biopouvoir intéressant.

SkinBag veut être un véhicule sensuel, il est conçu pour provoquer l’envie de caresser. Ne pourrait-on pas comparer le SkinBag au sexe ? Il nous attire instinctivement, mais peut pourtant paraître répugnant par certains aspects…

 



SkinThink, image numérique, 2000


6. Il existe tout un courant (piercing, hanging, tatoo-piercing, modification corporelle) qui prend son corps propre et individuel comme champ d'expression artistique. Qu'en penses-tu ?

Le phénomène m’intéresse comme symptôme d’insatisfaction individuelle et de volonté de prise en main de son identité et son avenir. Perso, à part les boucles d’oreilles, je me réserve pour une mutation physique plus profonde, plus fonctionnelle et plus radicale, mais les moyens scientifiques ne sont pas encore à la hauteur de mes espérances.

En attendant j’exploite le piercing, tatouage et scarification sur mes SkinBag. L’avantage d’une intervention sur une double peau est de ne pas laisser de traces irréversibles sur le corps en ménageant pourtant des effets comparables aux modifications corporelles. C’est aussi un gage de liberté, car le corps de substitution est sans limites.

 

7. Autre pan de ton oeuvre, les amusants Trophées de chasse humains. Quelques mots à ce sujet ?

Yes (rire), t’es le premier qui les qualifient d’amusants… la plupart du temps, cela fait flipper les gens ! Pour éclairer les non connaisseurs : les Trophées de Chasse Humains (TCH) sont des bustes de personnes émergeant du mur comme des trophées animaliers. Une plaque de laiton fixée sous le trophée permet d’identifier le modèle par son nom et la date de la prise. Les TCH pastichent ce qui définit usuellement l’identité dans nos sociétés (cf. carte d’identité), pour montrer l’insuffisance de ces repères pour caractériser un individu et rendre compte d’une vie.

Les TCH sont une métaphore des relations complexes, troubles, de pouvoir et de désir qui existent entre les hommes. Ils nous renvoient à notre propre questionnement existentiel et interrogent nos relations aux autres.

L’homme est-il un chasseur ou une proie ? bien sûr les deux à la fois. Plus intéressant, comment peut-on se chasser soi-même ?

Les TCH parlent autant de nos angoisses sous jacentes liées à notre finitude, que des liens étranges entre les individus . Ils nous interpellent parce qu’ils abordent des problématiques toujours contemporaines : l’homme face à la mort, face à lui-même, face aux autres…

Se référant explicitement au thème de la vanité, ils sont un simulacre de plus qui nous donnent l’impression de prolonger notre existence au-delà de notre mort biologique, et l’illusion de transcender notre mort.


Trophées de Chasse Humains


8. Tu as réalisé un court métrage, O Game, déjà diffusé dans certaines expos. Quel est le message ? Quelle fut la réception ?

O game est une simulation de jeu vidéo sur un mode existentiel : la mort, la jouissance, le besoin de reconnaissance… Ce jeu au rythme effréné est ponctué d’images empruntées à notre culture actuelle, véhiculées essentiellement par la télévision comme lieu fantasmé de la reconnaissance individuelle. En opposition à l’état consensuel et illusoire ambiant, ce clip propose un recentrage sur l’individu, ainsi mieux à même de se connecter au collectif.

Le concept « O » nous invite à imaginer une nouvelle donne identitaire et relationnelle. O marque l’émergence d’un humain optimisé. Cet être nouveau est connecté au monde, pour former un réseau pacifié. Le concept d’humanité se voit étendu : l’individu, partiellement libéré de son corps, est re-configuré en O : paramétrage relationnel optimisé, drivers d’extensions corporelles, intégration de prothèses affectives, accroissement des taux de satisfaction, renforcement du mode jouissance, réduction des seuils d’agressivité, amplification de la tolérance, et surtout élargissement de notre niveau de conscience…

Je propose une perspective mutante au grand public, avec un média qui leur est plus que familier, et je constate que les gens adhèrent bien.

 



Ogame, clip vidéo, 2004


9. Quels sont tes projets actuels dans le domaine du clip ?

Je prépare un clip qui s’appelle KO, une suite de témoignages hétéroclites autour des satisfactions/insatisfactions individuelles et des utopies qui nous permettent d’espérer un monde meilleur. Tu l’as compris, en toile de fond, la dénonciation d’une mauvaise gestion des affaires humaines et la nécessité de tout mettre en œuvre pour accélérer l’auto mutation inévitable et souhaitée. Je t’en dirai plus quand il sera terminé. Si certains d’entre vous ont envie de témoigner, un p’tit mail et on prend RV, plusieurs journées de tournage/témoignages sont prévues.

En tout cas le clip me parait être un des meilleurs moyens pour communiquer. Je prépare aussi plusieurs micro clip sur des sujets d’actualités pour donner mon avis à chaud.

 



Bye-Bye et ton ego démesuré..., Arlix/Goulet, 16 p., édition 2002