Introduction
à la neurothéologie
Cerveau et sentiment divin
Croyant ou non, nous avons tous un jour ou lautre éprouvé un sentiment particulier de solennité ou dapaisement en pénétrant un édifice religieux comme un temple, une église ou une cathédrale. Il en va de même à lécoute de certains chants sacrés.
Le Pr Richard Wiseman, de lUniversité du Hertfordshire, a voulu en savoir un peu plus sur le phénomène. Son intuition reposait sur lacoustique particulière des monuments religieux et des chants rituels. Il a donc construit un canon à infrasons de 7 mètres de long et réunit 750 sujets volontaires (sans croyance particulière) dans une salle de concert. Ceux-ci écoutèrent en alternance de la musique contemporaine et des sons à très basses fréquences (10 à 20 Hz). Au cours de ces intermèdes infrasoniques, 22 % de lauditoire a reconnu avoir éprouvé de la chair de poule , des sensations bizarres dans le ventre , des souvenirs refoulés, parfois douloureux . On a également noté une augmentation du rythme cardiaque. La conclusion du Pr Wieseman ? Les infrasons comme ceux produits par les orgues des églises permettent daccroître le sentiment religieux des fidèles en donnant à leur expérience une dimension corporelle et émotionnelle.
Cette expérience récemment rapportée (été 2003) sinscrit dans un mouvement en pleine croissance depuis une quinzaine dannées : la quête biologique de Dieu. Des chercheurs, pour la plupart formés en neurosciences cognitives, se donnent pour objet de traquer lorigine et les manifestations du divin dans le corps humain, plus précisément dans le cerveau.
Rhawn Joseph, neuropsychiatre américain, fait partie de cette nouvelle vague. Il a fondé la très sérieuse maison dédition University Press qui a ouvert voici peu une collection de Neurothéologie .
La neurothéologie, discipline émergente
Après sêtre intéressé aux différences
hormonales et cognitives dapprentissage entre les sexes et à la
neuroplasticité des cerveaux primates, Rhawn Joseph sest peu à
peu spécialisé dans létude des religions, plus précisément
des extases religieuses. Selon lui, lexplication est purement cérébrale
: Lhyperactivation de lamygdale, de lhippocampe et
des régions temporales sous-corticales environnantes donne à lindividu
le sentiment de flotter au-dessus de la réalité. Cela peut rappeler
des souvenirs, provoquer des hallucinations, créer des flashs lumineux
et, dans le même temps, sécréter des neurotransmetteurs
qui procurent une sensation deuphorie, de paix et dharmonie .
Dans son bureau de lHôpital de lUniversité de Pennsylvanie (Philadelphie), Andrew Newberg est également à la recherche de Dieu. Radiologue de profession, il passe trois jours par semaine à traquer les maladies dans les viscères ou les os de ses patients. Les deux autres jours de la semaine, il observe Dieu dans leur cerveau. Une activité quil partage avec leur neuropsychiatre Eugene dAquili, co-auteur de deux de ses livres.
Newberg observe en particulier les moines bouddhistes tibétains et les surs franciscaines lorsquils sont en méditation ou en prière. Les religieux sont placés sous lil dune caméra tomographique à émission de positons. Lorsquils se sentent parvenir à un point culminant de paix intérieure ou de rencontre avec le divin, ils actionnent un bouton qui projette dans leur sang une substance radioactive. Celle-ci sera repérée dans le cerveau par la caméra, qui enregistre ainsi les activités des différentes aires cérébrales.
Le pattern neuronal le plus fréquemment observé est une augmentation du flux sanguin dans le cortex frontal (région des capacités cognitives supérieures) et une diminution nette dans les lobes pariétaux supérieurs. Ces dernières régions sont notamment nos centres de lorientation dans lespace. Cest là que nous créons une représentation à trois dimensions de nous-même grâce à laquelle le corps peut se reconnaître comme distinct de son environnement et sy orienter.
La
distinction entre soi/non soi est abolie dans le lobe pariétal
Selon Newberg et dAquili, on peut traduire ainsi les sensations consécutives
aux activations neuronales suscitées par la prière et la méditation
: Laire de lattention dans les lobes frontaux est capable
de concentrer lesprit sur des tâches importantes par un phénomène
que les neurologues appellent la redondance. Cette redondance bloque
larrive des sensations secondaires dans le cerveau afin que celui-ci se
fixe sur un but. Voilà pourquoi vous pouvez lire un livre dans un restaurant
bondé ou une rue bruyante. Nous pensons que laire de lattention
est activée durant les pratiques spirituelles car elle est impliquée
dans la gestion des réponses émotionnelles .
Et le lobe pariétal impliqué dans lorientation ? Si lon empêche linflux sensoriel daccéder à cette région, comme lors de la méditation, le cerveau perçoit le moi comme sans fin, relié à toute chose . Abolition de la distinction soi/non-soi, éveil des zones émotionnelles seraient ainsi les clefs neurobiologiques de lexpérience religieuse.
Les travaux de Newberg et dAquili sont considérés comme sérieux par la communauté scientifique. Principale objection qui leur est adressée : ils ne disent pas grand-chose de précise sur leur objet détude. Le cerveau est un organe en activité permanente. Si lon prend une communauté dindividus qui estime avoir vu des extra-terrestres et quon leur demande de se concentrer sur leurs visions, on risque fort de trouver des patterns neuronaux identiques chez certains dentre eux. Ce qui ne nous dira pas grand-chose, au fond, sur les extra-terrestres. Nos expériences dimagerie cérébrale ne prouveront jamais lexistence ou la non-existence de Dieu, rétorque Newberg. Ce nest pas leur objet. Il sagit seulement de mieux poser les questions pour mieux comprendre une part de ce que nous sommes en tant quêtres humains .
Si la religion catholique, du fait de ses dogmes, reste très méfiante à légard de toute explication matérialiste de la foi, il nen va pas de même pour le bouddhisme qui ignore la notion de dieu et dont les autorités spirituelles se déclarent favorables à une collaboration avec la science. Comme Andrew Newberg et Eugen dAquili, Richard Davidson (Université du Wisconsin) étudie ainsi au scanner le cerveau des pratiquants assidus de cette sagesse orientale. Il a découvert que certains dentre eux possèdent une activation du lobe préfontal gauche nettement supérieure à la moyenne. Cette région est connue pour contrôler les centres de lagressivité et semble produire des sentiments de bien-être, de plénitude. Il est peu vraisemblable de penser que les bouddhistes possèdent à la naissance un gène du zen qui développe leur cortex préfrontal. Lhypothèse la plus probable est que, du fait de la plasticité cérébrale, des exercices intenses de médiation accomplis dès le plus jeune âge parviennent à renforcer certaines régions du cerveau.
Dans les travaux que nous venons détudier, le sens religieux se développe à travers un effort cérébral (méditation, prière). Ce nest pas la seule hypothèse neurobiologique en cours.
Pathologie mentale et stimulation cérébrale
Le laboratoire de Vilayanur Ramachandran, à lUniversité
de San Diego (Californie), reçoit ainsi des patients un peu particuliers.
Ils sont atteints dépilepsie du lobe temporal (ELT). Cette pathologie
se manifeste habituellement par des convulsions, des hallucinations auditives
et visuelles, un sentiment de déjà-vu. Ramachandran sintéresse
plus précisément au rapport entre lELT et la foi. Car on
sait depuis quelque temps déjà que les épilepsies ou des
lésions cérébrales consécutives à un accident
vasculaire cérébral provoquent chez certains patients des extases
mystiques et des révélations divines. Il existe des exemples connus
comme Ellen White, fondatrice des Adventistes du Septième Jour (12 millions
de fidèles), dont Gregory Holmes a montré que les visions de Dieu
étaient apparues après un traumatisme crânien.
En enregistrant les réactions émotives de certains patients ELT (sudation, rythme cardiaque, pression sanguine), Ramachandran a fait des constats surprenants. Ainsi, tel sujet reste indifférent en entendant des mots neutres et des mots à connotation sexuelle, mais manifeste un trouble caractérisé en écoutant des mots religieux (dieu, prière, extase). De là à penser que Moïse, Paul et Bernadette Soubirous étaient épileptiques
Dans cette lignée, le psychiatre canadien Michael Persinger a mis au point en lan 2000 une machine de stimulation magnétique transcrânienne baptisée Octopus. Au dire de son concepteur, celle-ci est capable de stimuler les lobes temporaux, daltérer la conscience du sujet et de créer en lui des sentiments dextase mystique, de joie intense et inexpliquée. Plusieurs utilisateurs dOctopus ont témoigné de telles sensations. Mais ce nest pas le cas de Richard Dawkins, auteur du bestseller Le gène égoïste, qui sest prêté à lexpérience. Le célèbre zoologiste anglais a ressenti en tout et pour tout des fourmillements dans les jambes. Il faut croire que le cerveau de cet athée et sceptique déclaré nest pas prédisposé aux stimulations religieuses, fussent-elles religieuses
Hypothèses sur lévolution du religieux
Dun point de vue évolutionnaire, les hypothèses sur lorigine
du sentiment divin sont nombreuses, mais guère testables. Leur point
commun est bien sûr que la croyance a dû conférer à
ses porteurs un avantage adaptatif aux individus. Elles renvoient également
aux émotions humaines comme lanxiété, lagressivité
ou laltruisme.
Pour Matthew Alper, auteur dun ouvrage de synthèse sur la question, le sentiment divin a émergé car il aide à supporter les conséquences de notre conscience. La conscience, remarque-t-il, crée énormément danxiété et lhistoire de notre espèce a sélectionné une adaptation cognitive qui compense les souffrances dues à lintelligence, comme par exemple être capable de penser à sa propre mort. Des modifications même infimes du cerveau qui permettent de croire à une réalité alternative, avec une survie dans celle-ci, ont pu donner plus déquilibre psychologique à ses porteurs . Massimo Pigliucci, professeur décologie et biologie évolutionnaires à lUniversité du Tennessee (Knoxville) reste cependant sceptique : Il ny a aucune preuve de cela, ni surtout aucun moyen de trouver des preuves. On ne peut pas faire dexpérimentation sur le taux de survie et de reproduction des personnes croyant à une vie après la mort car les êtres humains ont, pour lessentiel, évolué dans un environnement qui na plus rien à voir avec le nôtre .
Une autre hypothèse évolutionnaire fait appel à la sélection de groupe. Au cours de lhominisation, nos ancêtres vivaient en hordes restreintes (30 à 300 individus), parfois concurrentes pour loccupation dun territoire et lappropriation de ses ressources. Tout ce qui renforce laltruisme au sein du groupe et légoïsme à lextérieur (distinction entre eux et nous ) maximisaient les chances de survie des individus. Or, les croyances et les rituels sont de puissants fédérateurs pour fonder un sentiment de commune appartenance, voire pour renforcer lagressivité face à des adversaires potentiels. Ils sont a contrario des canalisateurs de la violence interne, par crainte dun châtiment ultime en cas daction nuisible pour un membre du groupe. Cette porosité du cerveau à lendoctrinement ( indoctrinability dIrenaus Eibl-Ebesfledt) se traduirait par ladoption précoce de croyances qui structurent durablement la vie cognitive des individus et se transmettent entre les générations.
Un certain nombre de chercheurs comme Richard Dawkins, Dan Sperber et Laurent Boyer envisagent plutôt la religion comme une sorte d épidémie mentale . Les croyances auraient pour base des schémas cognitifs simples, dérivés des capacités dinférence normales du cerveau humain et sélectionnés dans lhistoire des représentations collective parce quils sont justement mieux adaptés que dautres au cerveau qui les a produits. Comme le fait remarquer Laurent Boyer, la proposition les feuilles des arbres entendent les conversations paraît plus crédible que la proposition la pensée de lesprit permet de faire disparaître la statue . Notre cerveau possède des catégories ontologiques (végétaux, audition, vision dans cet exemple) qui sharmonisent plus ou moins bien par des inférences logiques.
Camille
François